Le technopole – le pouvoir des technologies et l’incapacité de la société –

Fabe suffira, sans donner du Monsieur, SVP.

Si nous définissons « l’idéologie »comme un complexe de vues dont nous ne sommes guère conscients, mais qui nous guident néanmoins dans nos efforts pour donner forme et cohérence au monde, alors c’est le nôtre. l’instrument idéologique le plus puissant est la technologie de la langue elle-même. La langue est une idéologie pure. Elle nous apprend non seulement quels sont les noms des choses, mais aussi – et c’est plus important – ce que les choses peuvent être nommées. Elle divise le monde en matières et Objets.

Il y a déjà là une sorte de duperie, quand vous dites « l’idéologie est un complexe de vues », car une vue ou même un point de vue sont des (bouts d’) idéologies, en sorte qu’une idéologie serait alors un complexe d’idéologies (ou de bouts d’idéologies). Bref on n’aurait rien défini ou alors seulement quelque chose d’incohérent car un point de vue (en tant que partie d’une idéologie) s’oppose ‘en général’ à un autre point de vue (en tant que partie d’une autre idéologie).

Vous admettrez sans difficulté qu’il y a ainsi de très nombreuses idéologies (parmi lesquelles beaucoup sont incompatibles les unes avec les autres), qui tentent rarement donc avec succès de cohabiter dans ce qui vous semble être un complexe. Il en découle qu’il y a de multiples façons de donner de la cohérence à « ce monde ». J’utilise des guillemets car il n’est absolument pas trivial que ce soit le nôtre (ie : le même pour tout le monde).

Vous avez raison chaque idéologie a son langage (sinon sa langue, je vais revenir sur ce point) qui est un outil puissant, mais seulement parce qu’on lui accorde cette puissance. Alors que faut il comprendre par « la technologie de la langue elle-même » ? S’il faut comprendre une « technologisation » du langage naturel que chacun d’entre nous utilise au quotidien, alors oui, c’est même une sorte d’évidence. Mais cette pseudo évidence nous fait confondre deux choses : la langue et le langage. La langue c’est ce qui nous permet d’appréhender le monde et de communiquer entre nous. Par contre le langage, en particulier technologique, est un choix arbitraire de termes (mais pas seulement, sinon ce ne serait qu’un lexique) et la part technologique de ce langage intégrée dans la langue provient d’un langage fondé sur un langage physico-mathématique dont les termes sont plus ou moins bien choisis et que l’on intègre à la langue naturelle sans autre forme de procès. Exemple : qu’est-ce qu’une variété en géométrie ? C’est un espace mathématique (non réel), comme l’espace euclidien. Ceci pour montrer que la terminologie du langage mathématique perturbe complètement la notion langagière naturelle courante de variété.

La langue ne nous apprend pas le nom des choses (pourquoi appelle-t-on un chat un « chat »?) car tout le monde sait que leurs noms sont arbitraires. Elle ne nous apprend à peine les relations qu’entretiennent ces choses entre elles car d’une idéologie à l’autre, d’une langue à une autre, nous (humains) ne voyons pas le monde selon les mêmes relations, en tout cas pas toujours et peut-être même pas souvent. Nous (humains) ne divisons pas le monde de la même façon en Inuktitut qu’en Tok Pisin ou qu’en Mongol Khalkha. Il n’y a pas de façon universelle de voir le monde. Et la distinction entre objets, processus et événements ne va pas de soi. Il n’y a pas de langue universelle, pas plus qu’un langage universel y compris ce fameux langage physico-mathématique qui nous sert à si bien manipuler le monde matériel.

Il ne faut donc pas assimiler la technologie de la langue avec la technologie du langage physico-mathématique qui est effectivement un outil puissant de manipulation du monde matériel. Cela dit s’il permet de bien manipuler le monde matériel, il n’en va pas de même pour le monde humain, intellectuel, spirituel (loin de là). Je crois que nous sommes d’accord sur ce point. Par contre je n’adhère pas à l’idée que la langue, aussi technologisée qu’elle soit devenue, indique quels événements doivent être considérés comme des processus et lesquels comme des choses. La raison en est que la langue naturelle et ce langage technologisé n’ont pas la même portée (je y reviens ci-après).

Il nous enseigne le temps, l’espace et le nombre et forme notre idée de la façon dont nous nous rapportons à la nature et aux autres. « (Neil Postman: » Das Technopol « , p.72)

Qui est ce « il » ? Mais peu importe ! Ce passage est bien trop « généralisant » pour être acceptable. Encore une fois nous n’interprétons pas, tous autant que nous sommes, les choses de la même façon. Comment peut on ainsi confondre le temps, l’espace, le nombre du langage physico-mathématique avec ces mêmes notions dans l’esprit de l’homme ? Les notions très techniques qui sont citées ici sont très complexes et de plus en plus éloignées de celles que Mr Tout-le-Monde a à l’esprit. Nous (humains) avons utilisé notre langue pour inventer un langage abscons (ce langage physico-mathématique), que nous comprenons de moins en moins, et nous ne nous rapportons absolument pas aux notions complexes de ce langage. Nous (différents peuples) concevons le monde chacun à notre façon par notre langue naturelle mais nous manipulons la matière de ce monde par un langage approprié (qui n’est pas une langue car il ne sert pas à communiquer et est bien moins riche que la langue naturelle) que nous supposons universel ou/et voulons voir comme tel.

« «Nous nous amusons à mort» et «La seconde illumination», c’est l’asymétrie flagrante entre la quantité de connaissances et l’acquisition de connaissances. Jamais auparavant – dans toute l’histoire de l’humanité – une telle abondance d’informations n’avait été accessible à l’homme, voir «Explosion de l’information» (Derek de Solla Price «Little Science, Big Science»). Mais c’est aussi notre problème, que Postman logiquement comme « Cultural AIDS » décrit: ………. << Le technopole souffre d’une forme de sida culturel,… »

Je m’amuse tout autant en lisant ce qui précède car voir les choses sous l’angle de la quantité de connaissances vs son acquisition, c’est les voir par le petit bout de la lorgnette. Notre monde que nous voulons manipuler (et plus tellement comprendre tant il devient incompréhensible) nécessite la prise en compte de paramètres de plus en plus nombreux. Pas étonnant que cela nécessite de plus en plus de …  » : de quoi au juste ? ». Au début il s’agissait de « données », puis vinrent les « connaissances », puis les « informations ». On voit là la progression d’une quête du sens et on sent qu’à chaque fois il nous échappe. Il nous échappe car le langage physico-mathématique qui nous sert à manipuler le monde matériel ne s’intéresse pas au sens (au ‘pourquoi’ dans notre langue) mais à la forme (au ‘comment’). Le sens nous échappe, dans la langue de chacun, car il est multiple. Il n’est même pas unique au sein d’une même langue. Et c’est sans doute pour cette raison qu’on a tenté d’inventer un langage physico-mathématique utilisable (sinon facilement compréhensible) par tous. Le grand tord que nous avons eu fut celui de l’intégrer quasiment tel quel à notre langue naturelle, c’est à dire d’essayer de répondre à un « pourquoi ? » alors qu’il ne répond qu’à un « comment ? ».

C’est aussi, et c’est encore plus important, la raison pour laquelle il n’y a pas d’orientations ou de définitions transcendantes du sens, pas de cohérence culturelle sous une technopole bt. L’information est dangereuse s’il n’y a pas de place pour elle, s’il n’y a pas de théorie sur laquelle s’appuyer, pas de modèle auquel s’inscrire, en bref, s’il n’y a pas d’objectif global à servir.

Bien sûr qu’il n’y a pas de transcendance du sens, des sens devrait on dire. On devrait parler de recherche de la signification des choses par le moyen d’attribution de différents sens à celles-ci. Ça n’a aucun sens de rechercher une transcendance aux sens. Par contre nier leurs cohérences est parfaitement abusif et n’est le résultat que d’une méconnaissance des logiques qui ont présidé à leurs définitions dans ce langage physico-mathématique. Quant à l’inscription dans un modèle, ou dans un objectif global, je dirais que ce point de vue est complètement eschatologique et il n’engage que ceux qui veulent y croire.

Alfred North Whitehead a appelé ce type d’information «inerte» ou «inerte», mais ce terme métaphorique fait paraître l’information trop passive.

Je le connais par ces écrits mathématiques et peu par sa philosophie des processus.

Les informations sans réglementation peuvent être fatales.

Ah ah ah ! Plus sérieusement, eh bien oui, quand on ne sait pas quel sens donner au juste aux données, connaissances, informations, on réglemente. C’est presque une lapalissade (truisme). D’ailleurs c’est ce qu’on fait dans un langage formel quand on définit la sémantique d’un langage : on attribue un sens à chaque terme, expression, on énonce des règles, donc on ‘réglemente’.

Et c’est là que réside le lien avec «l’archéologie de la connaissance» de Foucault. Il s’agit de l’utilisation du langage auquel nous sommes devenus si naturellement habitués. À cette fin, j’ai publié un petit test automatique – qui, bien sûr, ne doit pas être pris très au sérieux – dans l’essai plus long sur mon site Web (https://philosophies.de/index.php/2020/11/01/das-technopol/).

Je crois que c’est une illusion de croire que nous nous sommes naturellement habitués à cette téchnologisation du langage, à sa numérisation, … . Nous sommes plus ou moins obligés de les digérer et nous les digérons mal, en tout cas pas comme il faudrait. J’ai tenté de faire votre petit test (mal traduit de l’allemand au français par google) mais je suis clairement sceptique (par ce test). En réalité il ne montre pas vraiment mon scepticisme mais plutôt ma réticence à tout traduire par des nombres. Un peu comme dans notre société où nous ramenons tout à un seul paramètre : l’argent. Il faut bien comprendre que si je suis pour les notes scolaires, j’y mets une conditions : ‘‘quels sont tous les critères qui permettront de calculer cette note ?’’ (« trouver la solution d’un problème » = 1, « ne pas trouver la solution » = 0 : est une absurdité). Et dans notre société on pratique beaucoup l’absurdité.

Et encore une fois, vous avez tout à fait raison, seulement: « Dès que vous accordez un accès à une technologie, elle joue tout ce qu’elle a avec elle; elle fait ce qu’elle est censée faire. Notre tâche est de reconnaître en quoi cette détermination est prise existe – en d’autres termes, si nous donnons à une nouvelle technologie un accès à notre culture, nous devons le faire les yeux ouverts. »(Neil Postman:« Das Technopol », p.6)

C’est bien gentil de dire que nous devons avoir les yeux ouverts, mais ça n’est pas productif, instructif (ie : ça ne donne aucune instruction). Cela rejoint ma question précédente ‘‘comment faudrait il prendre cette technologisation de la langue ?’’ En fait il est bon de la prendre, car elle est la porte d’entrée à un outil efficace de manipulation du monde matériel, mais elle ne doit pas être prise seule et certainement pas supplanter notre façon naturelle de comprendre le monde.

Malheureusement, je ne les vois pas de cette façon. Au contraire, de mon point de vue, mais aussi du point de vue d’Adorno/Horkheimer et de Postman, une « dialectique de l’illumination » se met en place, comment dans ces nouvelles pseudo-religions, comme par exemple « QAnon » peut le reconnaître, le désir du peuple est très grand de vouloir combler ce « vide théologique/eschatologique » et en cas d’urgence malheureusement aussi avec un tel « obscurantisme » comme dans le Moyen Âge.

Je dois dire que je n’ai pas compris ce passage et je ne vois pas les rapports qu’il y aurait entre Adorno/Horkheimer, Postman, Qanon et le Moyen Âge.

Je ne pense pas que nous devrions nous débarrasser de la technologie moderne. Au contraire, nous en avons plus que jamais besoin pour transmettre des informations et des connaissances; tout le reste serait juste un « quixote âne ».

On garde la technologie, dont acte ! (Zur Kenntnis genommen!). Ce qu‘il nous faut en plus des connaissances et informations, c‘est de la signification : de multiples façons d‘attribuer du sens aux choses. Par contre quel est ce reste dont vous parlez ? S‘agit il de tout ce que la technologie apporte en plus et qui n‘est pas que la transmission des informations et des connaissances ? Tout cela serait en trop ? Ne serait qu‘âneries ? Suggérez vous que tout ce reste est à jeter à la poubelle ?

nous avons également besoin d’une nouvelle métaphysique pour le discours scientifique (voir https://philosophies.de/index.php/2020/11/12/von-der-physik-zur-metaphysik/)

D’accord, mais quelle métaphysique ? Le traduction française du contenu de ce lien est trop difficile à lire ! Y a-t-il une version anglaise ? J’imagine cependant que cette métaphysique, celle que vous avez en tête et que vous préconiseriez, serait celle de Procès et réalité (Process and Reality, 1929)  de Alfred North Whitehead, considérée comme un des textes fondateurs de la philosophie du process. Je vais me limiter à des extraits de Wikipedia (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Philosophie_du_processus) car comme je l’ai dit je ne connais pas vraiment la philosophie du processus de Whitehead.

Whitehead est donc partisan du processus, du changement. Pour la philosophie du processus, la vérité est mouvement. Et je ne suis pas opposé à cela. Cela rejoint d’ailleurs une proposition que j’ai faite sur les valeurs morales vues comme des actes qui font passer d’états insatisfaisants à des états plus satisfaisants du point de vue de la valeur morale traditionnelle (https://www.facebook.com/ComGenChat/posts/1677908872377403).

Pourquoi une valeur morale serait elle un acte ? Parce qu’il est vrai que l’on juge les gens sur leurs actes et non pas sur une appellation qu’on leur colle arbitrairement (ex: cette personne est bonne, cette fille est belle, ce geste est agressif : façons traditionnelles de voir les choses). Or la vérité peut entrer dans ce cadre, c’est-à-dire celui d’un acte qui fait passer d’une proposition représentant (+/- bien) la réalité à une autre qui la représente autrement (+/- bien, elle aussi). En fait je pencherais davantage pour une variation que pour un mouvement ou même un acte. Une variation, presque au sens du calcul variationnel.

Par contre si cette philosophie assume ce qu’en mentionne Wikipedia :

« Le processus peut être intégrateur, destructif ou les deux ensemble, tenant compte des aspects d’interdépendance, d’influence et de confluence, et abordant la cohérence par des évènements universels aussi bien que particuliers. »,

alors je m’écarte de cette vision car elle ne définit rien, le processus peut être presque n’importe quoi. Ce n’est pas très crédible car assez vague. J’espère que ce n’est que le résumé Wikipedia qui rend ces choses floues.

Plus loin il est dit :

« Whitehead a cherché une cosmologie holistique, complète, qui fournit une théorie systématique de description du monde qui pourrait être utilisée pour les intuitions humaines diverses acquises par des expériences non seulement scientifiques mais aussi éthiques, esthétiques et religieuses. »

Et ce que je reproche ici à Whitehead c’est cet objectif holistique (déformation du logicien qu’il a été, je suppose). Je ne crois pas un instant à une théorie du Tout pour plusieurs raisons sur lesquelles je reviendrai (1- incomplétude des énoncés philo, 2- importance du hasard).

Plus loin encore on trouve ceci :

« Le processus métaphysique élaboré dans Process and Reality pose en principe une ontologie qui est basée sur les deux sortes d’existence d’entité, celui d’entité actuelle et celui d’entité abstraite ou abstraction. L’entité actuelle est un terme utilisé par Whitehead pour démontrer les réalités fondamentales qui définissent toutes choses. Les entités actuelles sont des groupes d’événements qui définissent la réalité. Les entités actuelles n’abordent pas la substance d’une chose mais parlent de comment cette chose se réalise. L’Univers est la résultante d’une série d’entités actuelles inter-reliées. »

Pourquoi là encore fonder l’existence sur une opposition : existence réelle actuelle vs existence réelle abstraite ? Encore une dualité que je trouve restrictive. Et c’est pire encore s’il faut la comprendre comme une opposition logique, qui supposerait que actuel s’oppose logiquement à abstrait.

« Pour Whitehead, le principe abstrait suprême d’existence réelle est la créativité. »

Je ne crois pas, même en tant que principe abstrait, à un principe de créativité mais à un principe de « nécessité contingente » (oui, cette expression est curieuse, voire paradoxale) que j’assimile parfois à l’émergence (peut on la rapprocher de la « causalité singulière » de Whitehead?). Ce que j’entends par nécessité contingente c’est qui il y des cas où certaines choses deviennent nécessaires, mais ces cas résultent d’un hasard et c’est en cela qu’ils (ces cas) sont contingents et que la nécessité qui en découle est contingente (point 2 ci-dessus). Ainsi je récuse tout explication par le seul principe de nécessité (Spinoza, par exemple, mais aussi d’autres philosophes). Ce qui m’a amené aussi à relativiser en Physique l’emploi du principe de causalité, à l’image de certains scientifiques eux-mêmes. (voire par ex: causalité inversée). (https://fr.wikipedia.org/wiki/Causalité_(physique)) (https://www.cnrtl.fr/definition/causalité) (https://philosciences.com/vocabulaire/56-cause-causalite).

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la philosophie du processus, mais je vais m’en tenir là pour l’instant. J’aimerais terminer par une remarque (ou conjecture de ma part) sur le point 1 : «  l’incomplétude des énoncés philosophiques ». Cette idée m’est venue du fait qu’il y a en mathématique des énoncés indémontrables dans certains systèmes suffisamment « riches ». Par exemple, on peut construire un énoncé exprimant la cohérence d’une théorie dans le langage de cette théorie (soit F cet énoncé), avec le second théorème d’incomplétude de Gödel, si cette théorie est cohérente alors F ne peut pas être conséquence de cette théorie. Autrement dit : « une théorie cohérente ne démontre pas sa propre cohérence : F est indémontrable dans cette théorie ». Il existe donc un énoncé indémontrable dans cette théorie et elle est alors dite incomplète (incomplétude de cette théorie). J’ai alors transposé ce résultat aux énoncés philosophiques et conjecturé que si une philosophie est suffisamment « riche » il est envisageable qu’on puisse parler d’incomplétude de cette philosophie : il existera des énoncés qui y seront indémontrables. Je conjecture même un peu plus (au risque très probablement d’en faire trop) que toute philosophie est entachée d’incomplétude : aucun énoncé n’y est démontrable. Car je remets en question les axiomes de cette philosophie qui s’appuient, soi-disant, sur des évidences premières (cas typique de l’Éthique de Spinoza dont nombre d‘axiomes me semblent suspects).

En tout cas merci de m’avoir répondu et obligé à disserter.

Liberté et libre arbitre

PdLTdA du groupe CLPDS dit à propos du Libre arbitre

(https://www.facebook.com/groups/386114361556445/permalink/1357484854419386/)

« Supposons qu’un chat ronronnant se trouve sur mes genoux: il est possible de caresser le chat, d’y être indifférent ou de le faire partir.
Objectivement parlant, ces trois possibilités semblent exister. Mais cela ne signifie pas que la décision que je prendrai sera l’effet de mon libre arbitre:
1° Je le caresse: la volition de le caresser est ici déterminée par le bien être que me procure la sensation d’être en symbiose avec ce chat. La cause déterminante est donc hédonique et non liée à quelque faculté que ce soit.
2° J’y suis indifférent: le livre que je lis capte mon intention,et je laisse le chat ronronner sans rien faire, car c’est la joie de lire ce livre qui détermine mon comportement indifférent envers mon chat.
3° Je le chasse: le désagrément qu’il occasionne ou la nécessité de me lever détermine la volition de le chasser de mes genoux,ce qui une fois encore rend totalement inutile la croyance en toute faculté libre à l’origine de la volition. »
——
A: Ce que j’en pense c’est qu’objectivement parlant il existe peut-être une infinité d’autres possibilités : je le frappe, je le tue, je lui arrache les poils, je l’attrappe par la queue, je lui tire l’oreille, je le chatouille, je lui parle, je crie dessus, je lui fredonne une berceuse, etc etc.
PdLTdA semble s’être limité à trois possibilités, c’est un choix, il a été libre de restreindre les possibilités qu’il considère par choix comme les seules envisageables. La cause qui a déterminé ce choix n’est pas aisée à préciser. PdLTdA se justifiera peut-être en disant qu’il n’a voulu considérer que trois cas eu égard à un critère non précisé ici. Mais la question se reposerait de nouveau : « pourquoi le choix de ce critère ? ».

B: Je pencherais davantage pour une autre explication : la cause de ce choix est plus probablement son incapacité à considérer l’ensemble de tous les possibles (qui comme je l’ai dit, doivent être en nombre très grand voire infini). Il a limité sa volition à quelques cas faciles à trouver par la pensée. La cause de ce choix n’est pourtant pas la facilité car rien ne l’empêchait d’envisager quelques autres possibilités pour un effort à peine plus important. La cause sera alors sans doute le fait qu’à partir d’un certain seuil d’effort, déterminé par son cerveau, la liste des possibilités envisageables devenait coûteuse à élaborer. Il dira alors que c’est ce seuil qui a déterminé son choix. Mais de mon point de vue ce n’est toujours pas acceptable car ce seuil on peut le dépasser, c’est ce que l’on fait quand on s’attaque à un problème qui demande|nécessite un surcroît d’effort. Bref il finira par trouver la cause ultime qui justifiera, s’il s’en remet à une philosophie comme celle de Spinoza, qu’il est tel qu’il est et que sa nature est celle de la substance du Dieu-Nature dont il est un mode d’expression et qu’il n’a ainsi aucun pouvoir sur elle. Question: « et si PdLTdA s’en remettait à une autre philosophie ? ».

C: En fait la clef de ce problème est le fait que PdLTdA s’est limité arbitrairement, mais volontairement, indépendamment de l’effort qu’il aurait pu demander à son corps (son cerveau). Et ceci m’amène à parler de liberté et de libre arbitre. Je propose de montrer qu’il n’y a aucune nécessité à ce que l’un découle de l’autre. Ainsi pour moi la liberté signifie que tout ce qui est possible est faisable : il n’y a pas d’obstacle (d’interdit, de morale, de règle, …) qui empêcherait de faire ce qui est possible. Le possible n’est pas contraint dans le cadre de la liberté : d’une liberté qu’on va dire totale. Il n’empêche que le libre arbitre peut quant à lui être contraint, comme s’est contraint PdLTdA ci-dessus, et même être réduit à rien si les contraintes n’autorisent qu’un seul choix (voire aucun choix). Le libre arbitre ne découle donc pas nécessairement d’une liberté pourtant totale. À l’inverse, considérons une liberté restreinte (donc non totale), par exemple une liberté partielle conforme au principe que la liberté de quelqu’un finit où commence celle des autres. Dans ce cas les possibles sont restreints mais rien n’empêche a priori que le libre arbitre soit total et que l’ensemble restreint de ces possibles soit celui de tous les choix auxquels le libre arbitre de quelqu’un peut procéder. Autrement dit le libre arbitre peut être total dans un cadre de libertés restreintes. Le libre arbitre total n’a pas pour conséquence la liberté totale. Soit encore : La liberté ne découle pas nécessairement d’un libre arbitre pourtant total.

D: Il me semble donc qu’il n’y a pas de lien de nécessité entre liberté et libre arbitre.
Ainsi Spinoza, taxé de philosophe de la nécessité, ne peut légitimement affirmer que l’Être a la libre nécessité d’accepter qu’il n’a aucun libre arbitre car même dans le cadre d’une liberté restreinte le libre arbitre peut être total.

E: LB demande : « On peut agiter un lapin blanc pour le (ndr: le chat) faire partir tout en le caressant de manière indifférente et en lisant ce message… . Plus sérieusement est-ce le chat qui a une influence sur mon libre arbitre ? »
Je suis convaincu que oui, les actions que je suis susceptible d’entreprendre dépendent des objets, lieux, moments, circonstances dans lesquels elles vont s’effectuer et les choix possibles que je vais pouvoir faire seront restreints.

F: CHB dit « On est déterminé », ce à quoi JNC répond « si l’on est déterminé, il n’y a pas de liberté »
Je pense qu’on est déterminé mais pas totalement. Et peut-être même qu’on ne l’est pas du tout. On l’est parce que comme le fait remarquer LP « on est conditionné par mille choses: son hérédité, son éducation, son inconscient, son environnement, son état physique, les problèmes du moment etc ». On est bien ici dans le cadre d’une liberté restreinte qui n’empêche pas, comme on l’a vu, un libre arbitre total parmi les possibles. Pour autant, ce libre arbitre peut-il être total ? Je vais formuler cette question autrement car les qualificatifs tels que « restreint », « total » troublent la nature de la question. Je vais me demander si le libre arbitre, quand il peut s’appliquer (c’est-à-dire quand il y a plus d’un choix possible), peut s’abstraire de toute cause qui le déterminerait. Entendons nous, il s’agit ici d’un humain face à plusieurs choix auxquels il peut intentionnellement et volontairement procéder. Dans ce cas y a-t-il y un élément déterminant qui dépende de lui, qui va entraîner|exiger par nécessité, sans échappatoire possible, le choix qu’il va faire ?

G: À cette question je pense qu’il y a toujours, quelles que soient les circonstances, une échappatoire. Le point important est de savoir si l’on peut contrecarrer un déterminant inhérent à l’individu, propre à sa nature, car le libre arbitre ne doit faire intervenir que ce qui dans l’individu pourrait faire qu’il ne puisse l’exercer. Car toute autre considération que lui-même relèverait du cadre restreint des libertés au sein desquelles cet individu tente d’exercer son libre arbitre. Peut il donc échapper à ces déterminants inhérents à sa personne ? Je pense que oui pour la raison suivante. Si je reprends l’exemple du chat de PdLTdA et si l’on suppose que les possibles sont les trois cas qu’il envisage, comment faire un choix qui ne soit aucunement entaché par un plaisir hédonique, une joie de lire, un désagrément : bref par quelque cause inhérente à sa propre personne que ce soit ? La réponse me semble simple et aisée à trouver.

H: Il suffit qu’il s’en remette au hasard : il lance un dé à trois faces (un prisme aux extrémités arrondies de sorte que seules trois positions stables existent) correspondant à « ne rien faire », « le caresser », « le chasser ». Les esprits chagrins diront qu’il n’a fait aucun choix, ce en quoi ils se tromperaient car il a bel et bien décidé d’adopter une attitude vis à vis du chat qui ne soit contrainte en rien par sa propre nature d’individu.
Le libre arbitre est une histoire de causes déterminantes mais le hasard (le choix aléatoire) peut toujours venir à son secours pour supprimer tout effet du à un déterminant. Le hasard est il alors le seul moyen de se libérer systématiquement de tout déterminant ?

I: Il est probable que oui, j’en veux pour illustration le jeu Chifoumi (pierre-papier-ciseaux) dont la meilleure stratégie en moyenne est le choix aléatoire car si le joueur ne procède pas de cette façon et si l’adversaire perçoit le déterminant qu’a le joueur de jouer comme il le fait, alors cet adversaire exploitera ce déterminant. Si donc le joueur veut jouer utile (gagner en moyenne le plus possible) et faire les bons choix, il doit les faire au hasard (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-papier-ciseaux#Stratégie_et_hasard).

J: Spinoza n’a pas pu connaître ce jeu introduit en Occident qu’au XIX° siècle ni les études de la stratégie optimale à adopter pour ce jeu. Même les balbutiements d’une théorie d’optimisation, naissants au XVII° siècle grâce au calcul différentiel, ne pouvaient aider Spinoza. Pourtant Spinoza était fermement convaincu que la nature de l’homme le poussait à choisir ce qui lui était le plus utile en comparant avantages et inconvénients. Mais à aucun moment il n’a pu être en mesure de s’imaginer que le hasard, les choix aléatoires pouvaient être plus profitables que les choix raisonnés (ayant des causes explicables). Son Dieu-Nature ne pouvait admettre que le hasard pouvait pourvoir aux meilleurs choix. « Il n’y a rien de contingent dans la nature » affirme Spinoza dans l’Éthique (I, p 29). Toutes les choses existent par nécessité, et leurs relations causales sont également déterminées par nécessité. Pour Spinoza, comme pour Einstein, Dieu ne joue pas aux dés. Mais l’homme le peut.

K: Spinoza admet la contingence mais seulement comme une apparence aux yeux de l’homme de ce qui demeure de toute façon une nécessité. Autrement dit la contingence existe dans l’esprit de l’homme mais pas dans la réalité de la Nature. Il est clair que les connaissances actuelles en physique contredisent complètement ce point de vue, Niels Bohr dit qu’il n’y a pas de variables cachées (une méconnaissance de la Nature, dirait Spinoza) qui expliqueraient la nécessité des événements (du moins des événements quantiques). Et quand bien même il y aurait de telles variables, elles ne viseraient pas nécessairement à restaurer un déterminisme complet. Or la philosophie de Spinoza est une philosophie réaliste et causale de la physique : une philosophie de la nécessité et du déterminisme. La liberté, définie comme le libre-arbitre, s’oppose à l’idée de nécessité et de déterminisme et c’est pour cette raison que Spinoza rejette tout autant liberté que libre arbitre. On notera que je ne définis aucunement liberté et libre arbitre l’un par l’autre.

Pensée versus Etendue : et quoi d’autre ?

« Le Dieu-Nature de Spinoza possède une infinité d’attributs dont nous ne pouvons connaître que deux d’entre eux : la pensée et l’étendue. »

Cherchons en donc un troisième !

Si l’étendue se ramène à nos quatre dimensions usuelles, 3 d’espace et une de temps, et (très) éventuellement à d’autres dimensions que la science envisage sans en être encore absolument certaine, il faut donc que ce nouvel attribut ne soit aucun de ceux-là ni de la pensée.

Considérons le hasard. Est-ce un attribut ? Je serais tenté de dire oui. La raison en est la suivante : l’espace produit des volumes, des surfaces, des lignes, des points, du contenu (ie: de la matière) et le temps produit des durées, des instants, et à eux-deux (espace et temps) ils produisent du mouvement, de l’énergie. Par ailleurs la pensée produit des idées, de la connaissance, de la conscience. Que produit le hasard ?

Il produit de l’émergence de situations, des changements ou des continuations de situations, des démarrages et des fins de situations, des liens entre éléments – éléments d’étendue ou de pensée – qui se nouent ou qui se brisent. Attention ! Le hasard ne produit pas de choix, car le choix est une pensée, il ne produit donc pas d’éléments de pensée. Il ne produit pas davantage d’étendue (d’éléments d’espace-temps). Or cette émergence de situation n’est pas une pensée ni l’anticipation de la pensée de l’émergence d’une situation dont le début, le changement, la fin, le lien à une autre pensée, ne sont par définition que le produit du hasard et par le fait : imprévisibles (on ne saurait anticiper l’imprévisible). Je ne sais pas si l’analogie que je vais faire est la plus pertinente qui soit pour illustrer mon propos et pour tenter de le mieux faire comprendre, mais je compare ce hasard, cette émergence de situation à une sorte de changement de phase, à l’image de la transformation de l’eau en glace. Mais un changement de phase bien sûr imprévisible, aussi bien en ce qui concerne la pensée que dans la réalisation d’événements spatio-temporels. Je ne confonds pas le hasard à un choix mais pas davantage à la possibilité ou à la contingence (contingence que je comprends comme la non nécessité, c’est-à-dire la possibilité du contraire). Il y a dans ma notion de hasard une sorte d’indéterminisme non prévisible, une indécidabilité à envisager le possible d’une chose et le possible de son contraire. Attention ! Ce par quoi je viens de qualifier (par choix) cette notion de hasard est une pensée mais elle n’est en rien le hasard.

Donc pour autant que ce hasard soit un troisième attribut admissible, se pourrait il qu’il y en ait un autre encore ? En effet Spinoza nous en conçoit une infinité, sans d’ailleurs convaincre à prouver leur existence sinon par un argument fallacieux qui consiste in fine à dire que la perfection ne se conçoit que dans l’infinité et l’éternité, comme si le fini et le temporaire ne pouvait pas être parfait au prétexte d’un manque. Un manque de quoi, me direz vous ? D’infinité et d’éternité justement !

Il faudrait donc que ce quatrième attribut ne soit ni de l’ordre de la pensée, ni de celui de l’étendue, ni enfin de l’ordre du hasard. Il faut noter que, chez Spinoza, des attributs différents n’ont rien en commun, ils ne résultent pas les uns des autres. Ils doivent en quelque sorte être indépendants les uns des autres sans pour autant que leurs modes de réalisations ne puissent être corrélés. Seulement toute corrélation de ces modes ne résulte d’aucune nécessité. C’est le point de vue spinoziste qui va quelque peu à l’encontre des travaux de A.Damasio pour qui la pensée (la cognition) est en adéquation (pour ne pas dire se confond) avec l’étendue (celle de l’activité des zones cervicales convoquées par les différentes fonctions cognitives), point de vue que Spinoza concilie tant bien que mal en affirmant l’unité de l’esprit et du corps au prétexte, que je lui prête avec d’autres, de son refus du dualisme cartésien.

Considérons la causalité, que l’on peut voir comme une pensée, mais que l’on peut voir surtout comme quelque chose qui en provoque une autre, ce que d’aucuns limitent au fameux lien de cause à effet, c’est-à-dire au phénomène où un événement est la cause d’un autre. Ainsi la causalité est un lien entre deux choses telles que l’une ne va pas sans l’autre. On peut d’ores et déjà dire que cela n’a rien à voir avec le hasard, c’en est même une sorte de contraire. On notera que je n’oppose pas hasard et nécessité mais que je l’oppose plutôt à causalité. Ce lien n’a rien à voir avec la pensée dans la mesure où il s’agit ici de phénomènes dont certains [font appel à | en impliquent | en entraînent] d’autres. Attention ! Ce lien n’est pas nécessairement temporel : un événement qui est cause d’un autre ne précède pas nécessairement cet autre. On renvoie ici à la possibilité de ce qu’on appelle la « rétrocausalité » dont la signification pour certains phénomènes conduit à dire que l’effet peut précéder la cause. Il est d’autant moins temporel que ce lien de causalité peut être sui-référentiel (par exemple le concept cher à Spinoza de « cause de soi »). Ce lien n’est pas plus temporel, spatial que spirituel. La causalité est une dépendance qui s’applique aussi bien aux pensées qu’aux étendues. La seule question qui se pose est de savoir ce qui cause une dépendance causale entre deux situations plutôt qu’un hasard entre les deux.

En fait la causalité et le hasard sont les deux extrêmes d’un même concept, peut-être même d’un même attribut, qui serait plus ou moins bien défini par le « changement », le « déséquilibre », l’ « instabilité ». Ce en quoi hasard et causalité ne seraient que deux modes de réalisation d’un même attribut : l’ « Instabilité-Déséquilibre ». Cette instabilité est le propre de tout ce que l’homme perçoit comme existant. Aucune pensée, nécessairement incarnée, n’est éternelle : non pas seulement parce que la chair est mortelle mais parce que la chair change d’avis; aucun corps matériel reste le même. Le hasard lui-même ne demeure pas tel qu’il a pu être précédemment quand il a présidé à l’émergence d’une situation. Considérer, comme le fait Spinoza, qu’il y a quelque chose qui demeure en toute chose est une vue de l’esprit, ou plutôt une illusion par méconnaissance profonde de la nature des choses (je devrais dire « des natures » d’une chose). Parler de « la nature d’une chose », c’est poser un double postulat : celui qu’il y a UNE nature pour chaque chose et pas plusieurs, et celui qu’une chose est UNE et ne saurait être multiple (pourtant la physique de la fission spontanée de certains éléments atteste du contraire de cette vision unitaire). Pour faire un parallèle (seulement un parallèle) avec le conatus de Spinoza, s’il y a un « désir » pour toute chose ce n’est pas celui de persévérer dans son être, mais bien plutôt un « désir » de retrouver un équilibre, une stabilité, un besoin de s’adapter à sa propre immanence : sa versatilité. Autrement dit toute chose lutte contre elle-même, à l’image du vrai qui lutte contre le faux, la joie contre la tristesse, le bien contre le mal, etc.
Ainsi hasard et causalité seraient des « sous-produits » de l’attribut Versatilité. J’utilise le concept de « sous-produit » car je ne sais encore pas trancher sur le fait que Hasard et Causalité sont des modes de réalisation de la Versatilité ou des sous-attributs de celle-ci. Autrement dit, y a-t-il une structure de hiérarchie entre les attributs ? Spinoza semble en faire une liste sans dominance, du moins du point de vue de l’homme qui ne pourrait (ou qui ne voudrait ?) considérer que la pensée et l’étendue.

Qui dit Versatilité ne peut manquer d’évoquer alors la Liberté, le Libre-arbitre.

(à suivre)

Nécessités contingentes

Selon AvdB du groupe CLPDS , il évoque les  » nécessités multiples, en mouvement incessant, généralement rassemblées par hasard  »

Rien n’est plus contingent que le hasard, autrement dit on aurait une conjonction (rassemblement) contingente de nécessités. Assurons nous déjà qu’une (seule) nécessité contingente existe.

Remarque: il faut distinguer le fait qu’une formule est nécessaire en contexte et le fait que cette formule soit la nécessité d’une autre dans ce contexte.

On choisira de traiter prioritairement ce second cas qui semble correspondre à la contingence d’une nécessité (de quelque chose).

Si une formule F est une nécessité dans un contexte (monde) W alors on peut écrire que F = « nécessaire de P » (nécessaire de quelque chose, le quelque chose étant P), que l’on notera (F = #P) et W satisfait F, que l’on notera (W sat #P).

Si la contingence d’une formule F est la non nécessité du contraire de F (contraire de F qu’on note ~F) alors la contingence de F est telle que (W sat ~#F), soit encore, puisque F = #P, (W sat ~##P).

Reste donc à savoir si F est une nécessité, càd : (W sat #P), et si F est contingente, càd : (W sat ~##P), sont deux situations conjointement compatibles.

Sachant que :

W sat #P <=> (qq W’, (W rel W’) => (W’ sat P))

W sat ~P <=> non(W sat P)

W sat ~##P <=> non(W sat ##P)

<=> non(qq W’, (W rel W’) => (W’ sat #P))

<=> (exist W’, (W rel W’) & non(W’ sat #P))

<=> (exist W’, (W rel W’) & non(qq W », (W’ rel W’²) => (W’² sat P))

<=> (exist W’, (W rel W’) & (exist W’², (W’ rel W’²) & non(W’² sat P)))

<=> (exist W’, exist W’², (W rel W’ rel W’²) & non(W’² sat P)

le problème est le suivant.

(Cond_1) Si ce qui est réel et avéré exige pour le moins d’être possible (P possible sera noté <>P) et (Cond_2) si ce qui est possible signifie que son contraire n’est pas nécessaire (<>P = ~#~P) alors on doit admettre la formule (P => <>P) c’est-à-dire (P => ~#~P). On notera que (P => <>P) <=> (#P => P) (*)

(Cond_3) On supposera que le contexte W est le monde dans lequel on vit. (Cond_4) Si il existe bel et bien un contexte réel W satisfaisant P (c’est notre hypothèse) alors par la formule (P => ~#~P) on sait que W satisfait ~#~P, c-à-d: (W sat ~#~P) que l’on note (W sat <>P) qui signifie qu’il existe bel et bien (au moins) un contexte tout aussi réel W’ relié à W tel que (W’ sat P) qui entraîne à son tour l’existence de W’² tel que (W’² sat P).

Or (Cond_5) si ces contextes sont la réalité qui évolue de façon univoque de W à W’ et de W’ à W’² alors il est impossible que (W sat ~##P) car cela exigerait que non(W’² sat P) et dans le même temps que (W’² sat P), ce qui est contradictoire.

L’hypothèse (Cond_4) était donc fausse, ainsi P ne doit pas être vraie en W (non(W sat P)) mais F = #P est une nécessité en W, autrement dit (W sat #P), soit (qq W’, (W rel W’) => (W’ sat P)). On remarque que si P n’est pas satisfaite en W elle l’est en tout W’ relié à W. En passant à la négation de P, si P n’est pas satisfaite (P s’écrit P = ~Q et Q est satisfaite), mais Q ne l’est plus dans aucun monde relié à W.

On se retrouve donc dans la situation suivante où tout ce qui est satisfait en W (Q par exemple) ne l’est plus en W’ qui est un monde quelconque relié à W. Autrement dit aucune propriété ne perdure dans l’évolution du monde de W à W’. Et comme tout ceci ne dépend pas de F = #P, de P = ~Q et de Q, tout ce qui est vrai (satisfait) devient faux et réciproquement. Or tel n’est pas le cas de notre monde. En conclusion il n’existe pas de nécessité contingente, eu égard aux conditions (Cond_x) exigées par ce système modal.

Pour le premier cas, il s’agirait de savoir si l’on peut avoir (W sat #F) et (W sat <>F).

(W sat #F) entraîne que tout monde relié à W satisfait F si de tels mondes existent, ou bien, que W n’est relié à aucun monde (W est « aveugle »). (W sat <>F) entraîne qu’il existe au moins un monde relié à W (W n’est pas « aveugle »). Le seul cas éventuellement admissible est donc un système modal où notre monde W évolue de façon unique vers W’ et ainsi de suite. Autrement dit les différents états du monde (W, W’, W’², …) forment un graphe linéaire où (Cond_6) la relation d’accessibilité entre mondes est sérielle (et même strictement sérielle : qq W exist_! W’ (W rel W’)) : notre monde évolue vers un unique autre monde. Dans ce système on sait que (#F => <>F) : le nécessaire entraîne le possible. Ce qui prouverait que #F et <>F sont tous deux satisfiables.

Resterait à prouver que ce système modal (contraint par les conditions Cond_x) reflète bien notre monde et son évolution, or rien n’est moins sûr. La mécanique quantique dit que certains états du monde sont des superpositions d’états incompatibles (chat de Schrödinger).

_________________

(*) Lettre de Leibniz à Arnaud (14/07/1686) (Spinoza est mort depuis quelques 9 ans)

(https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Leibniz_et_d’Arnauld_(Félix_Alcan)/8)

<< Tout ce qui est actuel peut être conçu comme possible,…>>

Gouvernement et Loi selon Spinoza

Post du groupe CLPDS :
Pierre De LaTour d’Auvergne‎ à Comprendre la philosophie de Spinoza
8 juin, 17:38 ·
NÉCESSITÉ D’UN GOUVERNEMENT ET D’UNE LOI CONVENTIONNELLEcf.: Traité Théologico-Politique Chp V p 382 sq; Bouquins Robert Laffont Thibaut Gress

« Ce n’est pas seulement parce qu’elle protège contre les ennemis, que la Société est très utile et même nécessaire au plus haut point, c’est aussi parce qu’elle permet de réunir un grand nombre de commodités; car si les hommes ne voulaient pas s’entraider, l’habileté technique et le temps leur feraient également défaut pour entretenir leur vie et la conserver autant qu’il est possible. Nul n’aurait, dis-je, le temps ni les forces nécessaires s’il lui fallait labourer, semer, moissonner, moudre, cuire, tisser, coudre et effectuer bien d’autres travaux utiles à l’entretien de la vie; pour ne rien dire des arts ni des sciences, qui sont suprêmement nécessaires à la perfection de la nature humaine et à sa béatitude… »
« … Si les hommes étaient ainsi disposés par la Nature qu’ils n’eussent de désir que pour ce qu’enseigne la Raison, certes la société n’aurait besoin d’aucunes lois, il suffirait absolument d’éclairer les hommes par des enseignements moraux pour qu’ils fissent d’eux-mêmes et d’une âme libérale ce qui est vraiment utile. Mais tout autre est la disposition de la nature humaine; tous observent bien leur intérêt, mais ce n’est pas suivant l’enseignement de la droite Raison; c’est le plus souvent entraînés par leur seul appétit de plaisir et des passions de l’âme (qui n’ont aucun égard à l’avenir et ne tiennent compte que d’elles-mêmes) qu’ils désirent quelque objet et le jugent utile. De là vient que nulle société ne peut subsister sans un pouvoir de commandement et une force, et conséquemment sans des lois qui modèrent et contraignent l’appétit du plaisir et les passions sans frein. Toutefois la nature humaine ne supporte pas d’être contrainte absolument, et comme le dit Sénèque le Tragique: nul n’a longtemps exercé un pouvoir de violence, un pouvoir modéré dure… »
Je pense que la 1ère partie disqualifie d’emblée Spinoza s’agissant de prouver la nécessité de la société. Son argument s’appuie sur le manque de temps et des forces nécessaires à l’homme s’il lui fallait labourer, semer, moissonner, moudre, cuire, tisser, coudre et effectuer bien d’autres travaux utiles à l’entretien de la vie. Avec l’avènement de la robotisation, si peu perceptible à l’époque de Spinoza, l’homme n’aura bientôt plus à faire tout cela.

cf.: https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=378186395682997&id=284781935023444&comment_id=378644438970526&comment_tracking=%7B%22tn%22%3A%22R%22%7D

Considérons d’autres propos de Spinoza :

«  De tout cela il résulte que les hommes qui sont gouvernés par la Raison, c’est-à-dire les hommes qui recherchent leur utile propre sous la conduite de la Raison, ne poursuivent rien pour eux-mêmes qu’ils ne le désirent aussi pour les autres hommes, et ils sont par conséquent justes, honnêtes et de bonne foi. »

cf.: Éthique, IV De la servitude humaine, page 239, Spinoza Éthique Introduction, traduction et commentaires de Robert Misrahi. Éditions de l’éclat, philosophie imaginaire, 2005.

Je pense que si l’on entend par Raison ce qui résulte d’un raisonnement logique, sans qu’il soit besoin de faire intervenir quelque principe moral, alors ce qui constitue un objectif propre et utile à quelqu’un n’est pas nécessairement propre et utile à un autre. Les objectifs des uns et des autres sont si variés et souvent contradictoires qu’il est nécessairement impossible que tous ces hommes soient justes, honnêtes et de bonne foi les uns envers les autres. Il n’est ainsi pas étonnant d’avoir la maxime « Faites ce que je dis (car ça m’est utile) mais ne faites pas ce que je fais (car ça pourrait me nuire) ».

Si par contre l’on entend par Raison ce qui est raisonnable alors il y a déjà là, de façon sous-jacente, quelque principe moral à l’œuvre. Il n’est pas étonnant et il est même nécessaire qu’être raisonnable signifie être juste, honnête et de bonne foi, cf. :

(https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/raisonnable/66271). Et la conséquence est donc un truisme du genre : le raisonnable a pour conséquence le raisonnable.

Que faut -il comprendre alors de la conclusion de Spinoza ? Soit il énonce une banalité, ce qu’on peut écarter connaissant les compétences logico-philosophiques de Spinoza, soit il est en train de définir la Raison comme un processus juste et honnête (ndr: on assimilera la bonne foi à l’honnêteté). Spinoza se place ainsi d’emblée dans le cadre d’une Raison éminemment morale qui n’exclut pas la logique, la rationalité, mais les circonscrit à tout ce qui est juste et honnête (« honnête » au sens « sincèrement considéré comme vrai ») pour autant que cette morale soit apte à répondre à notre désir d’agir. C’est une façon réductrice de considérer la Raison, or celle-ci devrait pouvoir faire abstraction de toute considération morale et ne faire appel qu’à la logique. Ce dernier point de vue nécessiterait néanmoins de s’assurer qu’une dé-moralisation de la rationalité, que l’élaboration d’une raison « pure » (au sens a-morale) soit concevable. Et c’est précisément quand la morale n’est plus d’aucune aide que l’on fait appel à l’Éthique.

Or l’Éthique n’a plus rien de moral, elle se ramène généralement à considérer tout choix éthique comme le résultat d’une comparaison des avantages et inconvénients d’une action, cf.: (https://www.01streamingvf.co/serie-streaming/blacklist/saison-6/episode-6-vf-26#movie , voir les mn 7:30 – 10:30 et 29:30 – 33:30 et 36:00 – 38:05 de la série Blacklist s6e6, l’éthicien (n°91)). Quand on sait que toute action a des avantages mais aussi des inconvénients on en arrive à un double problème plus difficile encore qu’un choix simplement fondé sur la Morale.

Le premier problème est celui de la définition de ce qui sera considéré comme un avantage plutôt que comme un inconvénient. Une échelle de valeurs est ainsi requise dont on peut pressentir le caractère tout à fait relatif eu égard aux multiples circonstances ou contextes dans lesquels toute action s’inscrira. Le second problème est que de nombreuses actions pourront présenter plus d’avantages que d’inconvénients et que le choix d’une d’entre elles ne sera qu’un exercice d’optimisation propre à éliciter de cet ensemble celle maximisant ce critère différentiel. Le sens commun n’entrevoit plus rien de véritablement juste là dedans tant il est vrai (ou de plus en plus vrai) qu’il a bien du mal (ou de plus en plus de mal) à accepter le principe qui veut que toute chose (action, loi) profite au plus grand nombre. Le sens des valeurs n’est plus moral, il est devenu comptable.

Considérons ce que dit Olivier Abel : « Il arrive certes encore que l’on utilise des moyens injustifiables en vue de fins globalement justes, et c’est un problème en quelque sorte classique : il faut proportionner les moyens aux fins et donc les discuter. Cet effort de contrôle a gouverné l’histoire de la démocratie. Mais il arrive aussi, et c’est sans doute le problème le plus grâve aujourd’hui, que l’on utilise des moyens légitimes et à peu près contrôlés en vue de fins injustifiables et jamais discutées : la démocratie ici doit être reconquise contre la technocratie des experts. Profitant de la peur des dogmatismes, ces derniers vont jusqu’à faire passer l’absence de fins pour une fin justifiable, sinon pour la justification suprême de tous les moyens ; mais l’absence de fins est à mon avis à ranger dans la catégorie des fins injustifiables. »

cf.: http://olivierabel.fr/ethique-et-politique/quels-sont-les-fondements-de-nos-choix-ethiques.php , Quels sont les fondements de nos choix éthiques ? , I. Question première : l’impuissance a dire oui , 4. Une démocratie des moyens, mais sans débat sur les fins , Olivier Abel , publication commune d’Autres Temps et du Bulletin du CPED (texte-programme après le Congrès de la post-Fédé), Déc.1987.

Ce qui retient mon attention est ce passage : « on utilise des moyens légitimes et à peu près contrôlés en vue de fins injustifiables ». Ce passage pose donc la question de savoir si, à n’utiliser que des moyens légitimes et contrôlés, on réalise nécessairement des choses parfaitement justifiables. Dans l’Éthique Spinoza affirme que se conformer à la loi revient à être juste. Ainsi si l’on suit la loi, on agit dans la légalité, on est donc légitime, on peut aussi se justifier mais en plus on agit de façon juste. Il est clair qu’on ne saurait soutenir le bien fondé d’une telle démarche. On ne peut tenir pour bien fondé une chose qui ne s’appuierait que sur la légalité, la légitimité et la justifiabilité, il est clair que l’on passerait ainsi à côté d’une vision plus morale de ce qui est juste.

Spinoza connaît cependant la nature de l’homme, et l’explique par son désir de puissance et ses appétits. Il dit en préambule du Chapitre XVI, Du fondement de l’État ; du droit naturel et civil de chacun, et du droit du souverain, du Traité théologico-plitique (TTP) :

« Ainsi ce n’est pas la saine raison qui détermine pour chacun le droit naturel, mais le degré de sa puissance et la force de ses appétits. Tous les hommes, en effet, ne sont pas déterminés par la nature à agir selon les règles et les lois de la raison ; tous, au contraire, naissent dans l’ignorance de toutes choses, et, quelque bonne éducation qu’ils aient reçue, ils passent une grande partie de leur vie avant de pouvoir connaître la vraie manière de vivre et acquérir l’habitude de la vertu. Ils sont cependant obligés de vivre et de se conserver autant qu’il est en eux, et cela en se conformant aux seuls instincts de l’appétit, puisque la nature ne leur a pas donné d’autre guide, qu’elle leur a refusé le moyen de vivre d’après la saine raison, et que conséquemment ils ne sont pas plus obligés de vivre suivant les lois du bon sens qu’un chat selon les lois de la nature du lion. Ainsi, quiconque est censé vivre sous le seul empire de la nature a le droit absolu de convoiter ce qu’il juge utile, qu’il soit porté à ce désir par la saine raison ou par la violence des passions ; il a le droit de se l’approprier de toutes manières, soit par force, soit par ruse, soit par prières, soit par tous les moyens qu’il jugera les plus faciles, et conséquemment de tenir pour ennemi celui qui veut l’empêcher de satisfaire ses désirs.»

Spinoza reconnaît ainsi que l’homme n’est pas formé par nature à la vertu, ni à la « saine » raison et que l’homme a élaboré les lois pour lui permettre de vivre en société. Il récuse la raison individuelle comme moyen de contrecarrer la façon dont l’individu considère les choses, le bon et le mauvais. Il dit ainsi :

« Donc tout ce qui nous semble, dans la nature, ridicule, absurde ou mauvais, vient de ce que nous ne connaissons les choses qu’en partie, et que nous ignorons pour la plupart l’ordre et les liaisons de la nature entière ; nous voudrions faire tout fléchir sous les lois de notre raison, et pourtant ce que la raison dit être un mal n’est pas un mal par rapport à l’ordre et aux lois de la nature universelle, mais seulement par rapport aux lois de notre seule nature. »

Spinoza convient ainsi que la nature propre de chaque individu est inapte à définir un comportement juste et bon. Il s’engage alors à proposer une solution éthique que j’ai décrite plus avant comme comptable. Il dit en effet :

« Cependant personne ne peut douter qu’il ne soit extrêmement utile aux hommes de vivre selon les lois et les prescriptions de la raison, lesquelles, comme nous l’avons dit, n’ont d’autre objet que la véritable utilité des hommes. D’ailleurs il n’est personne qui ne désire vivre en sécurité et à l’abri de la crainte, autant qu’il est possible ; or cette situation est impossible tant que chacun peut tout faire à son gré, et qu’il n’accorde pas plus d’empire à la raison qu’à la haine et à la colère ; car chacun vit avec anxiété au sein des inimitiés, des haines, des ruses et des fureurs de ses semblables, et fait tous ses efforts pour les éviter. Que si nous remarquons ensuite que les hommes privés de secours mutuels et ne cultivant pas la raison mènent nécessairement une vie très-malheureuse, comme nous l’avons prouvé dans le chapitre V, nous verrons clairement que, pour mener une vie heureuse et remplie de sécurité, les hommes ont dû s’entendre mutuellement et faire en sorte de posséder en commun ce droit sur toutes choses que chacun avait reçu de la nature ; ils ont dû renoncer à suivre la violence de leurs appétits individuels, et se conformer de préférence à la volonté et au pouvoir de tous les hommes réunis. Ils auraient vainement essayé ce nouveau genre de vie, s’ils n’étaient obstinés à suivre les seuls instincts de l’appétit (car chacun est entraîné diversement par les lois de l’appétit) ; ils ont donc dû par conséquent convenir ensemble de ne prendre conseil que de la raison (à laquelle personne n’ose ouvertement résister, pour ne pas sembler insensé), de dompter l’appétit, en tant qu’il conseille quelque chose de funeste au prochain, de ne faire à personne ce qu’ils ne voudraient pas qu’on leur fît, et de défendre les droits d’autrui comme leurs propres droits. Mais comment devait être conclu ce pacte pour qu’il fût solide et valable ? Voilà le point qu’il faut maintenant éclaircir. C’est une loi universelle de la nature humaine de ne négliger ce qu’elle juge être un bien que dans l’espoir d’un bien plus grand, ou dans la crainte d’un mal plus grand que la privation du bien dédaigné, et de ne souffrir un mal que pour en éviter un plus grand, ou dans l’espoir d’un bien supérieur à la privation du mal éprouvé : en d’autres termes, de deux biens nous choisissons celui qui nous semble le plus grand, et de deux maux celui qui nous semble le plus petit. Je dis qui nous semble, car ce n’est pas une nécessité que la chose soit telle que nous la jugeons. Or cette loi est si profondément gravée dans la nature humaine qu’il faut la placer au nombre des vérités éternelles que personne ne peut ignorer. Mais de cette loi il résulte nécessairement que personne ne promettra sincèrement de renoncer au droit naturel qu’il a sur toutes choses, et ne restera inviolablement ferme en ses promesses, à moins qu’il n’y soit déterminé par la crainte d’un plus grand mal ou l’espoir d’un bien plus grand. »

Or ce n’est pas cette direction qui résout notre problème moral ainsi qu’un retour à des considérations plus vertueuses. On ne peut se satisfaire d’une telle Éthique. Il est temps de se demander pourquoi la Morale ne saurait plus suffire à apporter des solutions.

Spinoza aurait pu considérer le point de vue suivant. Ce qui est bon, moral, juste et vertueux c’est l’homme qui ne nuit en rien par ses actions à l’existence d’un autre, car tout homme a le droit inaliénable à préserver son existence. Il est visé ici l’existence et non pas l’essence. C’est d’ailleurs la direction prise par la justice actuelle qui a su renoncer à la peine capitale mais limite l’essence de l’individu quand celle-ci le pousse, par son désir de puissance, à exercer des méfaits sur autrui. La question qui n’a pas été posée est : peut on, au nom d’un principe moral, limiter définitivement l’essence d’un individu ? Il est vrai que la limiter temporairement ne peut aboutir qu’à la récidive de l’individu tout conditionné qu’il est par ce conatus, si cher à Spinoza. Notre société tente d’aller plus loin, pour remédier à l’inefficience d’une limitation temporaire de l’essence de l’individu, en proposant à l’individu un reconditionnement mental. Certains de ces individus y accèdent en trouvant Dieu, d’autres en suivant des psychothérapies, certains cas plus difficiles que les autres passent par des transformations physiques plus ou moins irréversibles (castrations chimiques des pulsions, lobotomies). De fait, si Spinoza a raison, la nature de l’homme est de persévérer dans son être, la morale devrait donc autoriser à casser ce désir de puissance, à contrecarrer ce conatus. Or contrer le conatus est impensable dans l’optique de Spinoza, cela montre bien que son Éthique ne peut en rien être morale et la seule voie qu’il a trouvée est cet exercice comptable des avantages et inconvénients abordés précédemment, au demeurant pas très convaincant. Deux philosophies s’opposent ainsi: une spinoziste qui préfigure une sorte de positivisme assorti d’un contrôle, si ce n’est un rejet, des affects considérés comme contre-productifs (négatifs et passifs) et une autre plus moralisante mais qui doit dépasser les tenants et les aboutissants des normes établies par la religion. La chose n’est pas simple car la philosophie est là en demeure de se séparer de la religion pour définir cette Morale, sans tomber pour autant dans le scientisme.

Spinoza et Dieu-Nature

En préambule, considérons ce que dit Michel Juffé. « Baruch Spinoza est à la mode. Le philosophe hollandais du XVIIe siècle est à l’origine de livres à succès et fait la couverture de magazines. Mais attention, car il ne faudrait pas qu’il devienne un «prêt-à-penser» », explique Michel Juffé qu’on ne peut pas taxer faire de l’antispinozisme. Il ajoute « Spinoza est en train de devenir un « héros » people. Du coup il fait l’objet d’images réductrices et se voit mis en vedette dans des revues littéraires voire philosophiques. « Pourquoi on se l’arrache aujourd’hui. Comment il bouleversa le XVIIe, le n° « Spécial Spinoza » du Magazine Littéraire de novembre 2017. Qui se l’arrache et pourquoi faire ? Pour le replanter où ? Comment aurait-il pu « bouleverser le XVIIe siècle » étant donné qu’il n’y était connu que de quelques dizaines d’amis et d’ennemis ? Spinoza est devenu une sorte de hochet (ou de pense-bête) qu’on brandit en toute occasion, pour avoir l’air cultivé ou même « pénétré » par cette grande pensée. »
(http://iphilo.fr/2018/04/14/les-vrais-amis-de-spinoza-michel-juffe/)

Contre-Argument relatif à ma position soit-disant d’autorité s’agissant de mon affirmation de l’inutilité d’interpréter Spinoza.

Ce que je veux dire, c’est qu’il est inutile de réinterpréter des textes anciens à la lumière de nos croyances et savoirs actuels. Réinterpréter n’a tout bonnement pas de sens. C’est exactement ce qui se passe en Histoire, on la réinterprète à chaque époque. Les faits sont pourtant intangibles pour autant qu’ils soient avérés mais la façon de les raconter change avec les époques. Les mots pour les dire ne sont plus les mêmes, ils n’ont plus les sens que leur attribueraient les historiens de l’époque. La perception des événements du passé (et j’inclus les mentalités ainsi que les pensées de ces époques) est altérée, se dissout en partie (seulement) à cause des mots mais surtout à cause des mentalités et de nos pensées actuelles. Un tout petit exemple, presque ridicule, de cela : saviez vous que quand on provoquait un accident de la route en état d’ivresse (accident éventuellement mortel), c’était à l’époque considéré comme circonstance atténuante ?

(https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/l-alcool-au-volant-circonstance-attenuante-dans-les-annees-70_1761447.html)

Selon Nicolas Ka il s’agirait de « juger selon les connaissances scientifiques actuelles, si un concept philosophique était dans le vrai ou dans l’erreur. ».

Je crois qu’au contraire que cela n’a aucun intérêt, ça n’a pas été utile à son époque (car trop confidentiel) et ça ne peut pas l’être à la nôtre car vous faites « cautionner par » (sinon « dire à ») Spinoza ce qu’Henri Atlan énonce dans son livre « Philosophie biologique et cognitivisme ». Or à 4 siècles d’intervalle ces deux auteurs ne parlent absolument pas des mêmes choses. L’un ne peut pas cautionner ce que dit l’autre et ne peut pas faire dire à l’autre ce qu’il dit lui-même. Nous avons le droit de nous amuser à le faire, mais gardons nous de prendre cela trop au sérieux.

S’agissant d’argument d’autorité, on peut sous cet angle examiner les propositions de démonstration de l’existence de Dieu selon Spinoza.

« Quelle est la définition la plus acceptable du concept «Dieu»? » On sait que pour Spinoza, il n’y a aucune distinction entre Dieu et Nature. Ainsi se poser la question d’une définition c’est, selon moi, présupposer l’existence d’un « objet », l’objet Dieu-Nature, c’est en donner une définition donc c’est lui attribuer des propriétés qui permettent d’en démontrer l’existence. En tout cas c’est comme cela qu’on procède dans les sciences dures. Or Spinoza caractérise très peu, voire pas, ce Dieu-Nature sauf à lui attacher des propriétés d’universalité, d’éternité et de composition par des éléments (les humains entre autres) attachés eux-mêmes et pour chacun d’entre eux à un conatus. Conatus qui est tout à la fois une force (renforcement ou affaiblissement) et l’objet (le sujet?) même de cette force qui constitue/atteste l’existence même de cet objet. (*)

Ne serait ce que pour les néophytes (non versés dans les exigences de la logique) il y a, me semble-t-il, un problème de définition. Tout ceci n’est au mieux qu’un ensemble de postulats (de propositions considérées comme vraies, ce qui peut se concevoir à titre d’expérience de pensée) mais au pire comme quelque chose de formellement irrecevable (sans preuve ni d’existence ni de définitions adéquates : qui « ne se mordent pas la queue »).

Or n’attacher aucune propriété à un objet (dont ainsi l’existence ne peut pas être réfutée) facilite grandement la preuve de son existence. Ah ah ah !

– Si donc cet objet Dieu-Nature n’existe réellement pas (on pose ce postulat de départ), on risque de finir par s’autoriser à dire tout et n’importe quoi à son propos et en particulier être amené à dire, et à croire, pouvoir affirmer la preuve de son existence. Ce qui serait incohérent avec notre postulat. Évitons cela.

– Supposons donc maintenant que ce Dieu-Nature existe (on pose ce nouveau postulat), au titre d’une expérience de pensée seulement (car un postulat est toujours récusable). La réponse de Spinoza n’est donc plus irrecevable. Il resterait cependant à dire ce qu’est cette Nature. Mais on ne peut accepter la notion de Nature qui avait cours au XVIIè car quatre siècles plus tard nous ne la concevons plus de la même manière (mais plus du tout !). Aujourd’hui la Nature (l’Univers) semble être très probabiliste, très incertaine, potentiellement associée à une multiplicité d’univers (Mécanique Quantique) et seulement localement modélisable (il y a des zones qui échappent à ces modèles). Or les caractéristiques constatables de cette Nature, font que le hasard semble jouer un rôle non négligeable.

Si cette Nature dépend un tant soit peu du hasard (heur), c’est que quelque part ce Dieu-Nature joue au dés (n’en déplaise à Albert, qui se refusait, comme on sait, à admettre une telle chose). Cela dit, hasard et chaos ne sont pas que « non-sens » et, du hasard comme du chaos, il émerge des organisations (auto-organisation : https://www.matierevolution.fr/spip.php?article449) ou bien des structures : Ramsey s’est posé la question suivante « Combien d’éléments d’une certaine collection (non nécessairement structurée) doivent être considérés (seulement présents) pour qu’une propriété particulière se vérifie ? » Il est assez remarquable de mesurer toute l’importance de cette question qui tendrait à suggérer que le nombre d’objet suffit (indépendamment de ce qu’ils sont) à faire apparaitre (émerger) des propriétés. Ce qui a fait dire à Théodore Motzkin que « Le désordre complet est impossible ». Un exemple simpliste illustre ce fait : (https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_du_singe_savant). On retiendra de ce paradoxe la convocation de la notion d’Émergence.

Spinoza pose que la nature et dieu ne sont qu’une seule et même chose et qu’il-elle évolue (agit) sans principe ni fin, qu’il-elle produit ses effets par la libre nécessité de sa nature (dont je rappelle qu’on ne sait toujours rien), elle est sans morale, sans bienveillance ni malveillance (pourquoi pas ?); les choses dans la nature s’accomplissent conformément à des lois rigoureuses, nécessaires et universelles (Ah bon ?) où chaque chose comporte en elle une puissance d’agir qui se mesure à ses effets. Tout existant est un conatus (un effort pour persévérer dans son existence).

Deleuze, qu’on ne peut pas davantage taxer d’antispinozisme et commentant Spinoza, précise que : « Le conatus ne doit pas être interprété comme tendance à passer à l’existence mais comme tendance à persévérer dans l’existence » (https://www.philolog.fr/le-desir-comme-puissance-detre-spinoza/). Il est clair que Spinoza se garde bien de ne ne surtout rien dire de précis relativement à ce Dieu-Nature (et à son conatus) qu’on ne soit obligé d’interpréter. Et si Deleuze a raison alors à aucun moment Spinoza n’envisage que cette puissance d’agir puisse changer la Nature elle-même (et par conséquent, en tant que ses composants, notre conception même de ce Dieu-Nature). La Nature serait ainsi un corps de par ce qui la compose (une multitude d’existants) donc une « somme » (notion à définir !) de conatus qui s’affirment et poursuivent leur propre accroissement ou diminution (joie vs tristesse). Autant il admet le conatus humain et l’explicite, autant il ne dit rien du conatus de la Nature (qui serait naturante et naturée … ???).

Donc on ne sait pas vers quoi ce Dieu-Nature serait de par son conatus susceptible d’évoluer ! Donc ce Dieu-Nature nous ferait (en tant que ses composants) évoluer par des règles intangibles, universelles et peut-être éternelles vers rien de précis.

Je ne sais pas pour vous, mais il y a mieux comme résultat d’une expérience de pensée. Il me semble qu’on peut douter de sa preuve d’existence de ce Dieu-Nature qui ressemble à un argument d’autorité plutôt qu’à une démonstration.


Comme il ne faut pas se contenter de « j’adhère » ou « je critique » (d’un pouce vers le haut ou vers le bas), une critique argumentée (même mal fichue comme la mienne) permet au moins le débat alors qu’un j’adhère (ou une citation) sans autre forme de procès ne sert pas à grand chose, voici donc une proposition sous forme de question.

Dieu, que je distingue donc, au moins dans un premier temps de la Nature, pourrait il n’être que l’émergence d’un sens à cette Nature? La nature primitive ne serait pas encore Dieu-Nature mais pourrait progressivement le devenir, du moins en partie grâce à certains de ces constituants. Ainsi Spinoza aurait peut-être été un peu vite en confondant Dieu et Nature, il aurait peut-être fallu laisser le temps à celle-ci d’évoluer, par conatus ou plus vraisemblablement par quelques principes de symétrie ou de conservation (¤) . Et si son conatus, « somme » des conatus existants, peut tout autant évoluer vers la Joie ou la Tristesse, alors ce Dieu-Nature peut tout aussi bien devenir un Paradis de joies (de Biens, de bonnes choses) ou un Enfer de tristesses (de Maux, de mauvaises choses). Sauf que selon Spinoza la Nature est sans morale, sans bienveillance ni malveillance ! Pourquoi, alors qu’elle ne vise aucun but, entrainerait elle l’Humanité vers toujours plus de Joie ?

J’aime assez cette approche de l’émergence du sens de cette nature, de par ses constituants. Par contre concilier Spinoza et un devenir pour le moins aléatoire de cette nature ne me semble pas concevable même si le désordre complet ne saurait exister. Car un ordre partiel n’entrainerait ni ipso ni de facto une évolution divine complète (à la manière de Teilhard de Chardin et son point Oméga).

Donc même avec Spinoza, qu’il est difficile de trancher sur la nature de la Nature !

(*) Le conatus ne surgit probablement pas du néant. Jean Buridan (1292 – 1363), dans ses « Questiones » sur la physique d’Aristote introduit l’ Impetus. Plus tard (1638) Galilée, dans le « Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze », fait appel à la conservation du mouvement (pleinement reconnue et utilisée). Spinoza ne saurait avoir ignoré cela (pour le moins 40 ans plus tard) de son vivant (jusqu’en Février 1677 sinon lors de la parution de l’Éthique la même année).
(¤) (http://www.implications-philosophiques.org/actualite/une/face-a-face-avec-la-symetrie-22/) La symétrie semble jouer un grand rôle explicatif dans l’évolution de la Nature, mais on constatera que la brisure de symétrie est beaucoup plus productive, selon les physiciens.